Quand l'obsession du "zéro odeur" devient inquiétante : décryptage de la tendance "clean girl"
Par Esmé Perry
Publié le

Sommaire
- Une tendance qui dépasse la simple mode
- Que contiennent vraiment ces produits "miracle" ?
- Ce que révèle cette obsession selon les experts
- Une nouvelle forme d'anxiété sociale
- Des risques bien réels pour la santé
- L'impact psychologique d'une guerre contre son propre corps
- Retrouver un rapport sain à son corps
Sur les réseaux sociaux, une nouvelle tendance beauté fait fureur auprès des jeunes générations. Son nom : la routine "clean girl". Derrière ce concept en apparence innocent se cache une obsession grandissante pour l'effacement total de toute odeur corporelle. Des déodorants en spray aux brumes parfumées pour le corps entier, cette nouvelle anxiété olfactive inquiète les professionnels de santé.
Une tendance qui dépasse la simple mode
Multiplier les couches de déodorants, appliquer des brumes parfumées du matin au soir, utiliser des anti-transpirants sur tout le corps… Ces gestes se multiplient chez les adolescents et jeunes adultes qui ne jurent plus que par leurs produits anti-odeurs. Mais cette frénésie du "sentir bon à tout prix" va bien au-delà d'une simple passade.
Ce phénomène prend de l'ampleur à une vitesse impressionnante. Aux États-Unis, le géant Unilever parle même d'une "innovation de l'année" pour ces nouveaux déodorants corps entier. La marque Lume, spécialisée dans ces produits, a dépassé les 300 millions de dollars de ventes en 2023. Un chiffre qui témoigne de l'engouement massif pour cette nouvelle catégorie de soins.
Les entreprises ont parfaitement compris le potentiel commercial de cette anxiété naissante et n'hésitent pas à l'exploiter en proposant des gammes complètes de produits destinés à masquer la moindre trace d'odeur naturelle.
Que contiennent vraiment ces produits "miracle" ?
Les fameux "whole body deodorants" promettent de nous faire sentir bon de partout. Leur composition combine plusieurs types d'ingrédients pour assurer fraîcheur et protection maximale. On y trouve des poudres absorbantes qui régulent l'humidité et limitent la sensation de moiteur, des parfums qui apportent cette touche séduisante tant recherchée, et des agents antibactériens comme l'acide mandélique ou l'hydroxyde de magnésium, censés réduire la prolifération des bactéries responsables des mauvaises odeurs.
Le problème, c'est que ces produits surfent sur un besoin largement fabriqué. En réalité, seules les aisselles et la zone de l'aine produisent parfois des odeurs dérangeantes. Le reste du corps n'a absolument pas besoin d'être aspergé de déodorant pour être propre et sain. Ces produits n'apportent donc aucun véritable bénéfice santé ou beauté, mais répondent uniquement à une pression sociale et à une angoisse créée de toutes pièces.
Ce que révèle cette obsession selon les experts
Pour Amélie Boukhobza, psychologue clinicienne, cette tendance est profondément inquiétante. "Se pulvériser de la tête aux pieds, empiler les couches de produits sans même connaître les conséquences, tout cela au nom d'une routine clean girl… Encore un phénomène propre à notre époque. Tout doit être contrôlé, aseptisé, instagrammable", analyse-t-elle.
L'odeur corporelle, pourtant profondément humaine, devient suspecte dans notre société actuelle. On ne veut plus transpirer, plus laisser la moindre trace de soi. Le corps doit être neutre, lisse, comme une vitrine parfaite prête à être exposée sur les réseaux sociaux. Mais qu'en est-il de la chimie naturelle du corps, des phéromones, de cette rencontre unique des odeurs qui fait partie de notre identité ?
La psychanalyse considère d'ailleurs l'odeur comme un objet du corps, un élément constitutif de notre être. Chercher à l'effacer complètement revient à nier une part essentielle de notre humanité.
Une nouvelle forme d'anxiété sociale
Cette obsession du zéro odeur traduit en réalité une anxiété sociale profonde. L'angoisse de gêner, d'être jugé, de déplaire pousse les jeunes à transformer le parfum en véritable bouclier social. Comme si gommer toute odeur corporelle permettait d'éviter le rejet et le jugement des autres.
Mais cette stratégie d'évitement va encore plus loin. En réalité, ce geste empêche même la rencontre authentique avec l'autre. On se cache derrière un voile chimique plutôt que d'assumer ce que l'on est naturellement. Cette fuite en avant a un prix, et pas seulement financier.
Des risques bien réels pour la santé
Au-delà de l'aspect psychologique, cette accumulation de produits sur le corps présente des dangers concrets. D'abord pour la peau, agressée quotidiennement par une accumulation de produits potentiellement irritants. L'utilisation excessive de déodorants et de sprays parfumés peut provoquer des réactions cutanées, des irritations, voire des allergies.
Pour la santé générale ensuite, avec les perturbateurs endocriniens contenus dans certains sprays. Ces substances chimiques peuvent interférer avec le système hormonal et avoir des conséquences à long terme sur l'organisme. Les études scientifiques commencent d'ailleurs à documenter les effets préoccupants d'une exposition répétée à ces composants.
L'impact psychologique d'une guerre contre son propre corps
Le risque le plus inquiétant concerne la construction psychique, particulièrement chez les adolescents en pleine formation de leur identité. Si on apprend à se dégoûter de son odeur naturelle dès le plus jeune âge, comment peut-on espérer habiter son corps sereinement par la suite ?
L'odeur fait partie intégrante de notre identité. Elle raconte quelque chose de nous, elle ancre des souvenirs, elle crée du lien avec les autres. C'est un vecteur de communication non verbal qui participe aux relations humaines depuis la nuit des temps. L'effacer à tout prix, c'est nier une dimension essentielle de l'être humain.
Cette chasse aux odeurs naturelles envoie un message dangereux aux jeunes : votre corps tel qu'il est n'est pas acceptable. Il doit être modifié, masqué, contrôlé en permanence pour devenir fréquentable. Ce discours toxique alimente une mauvaise image de soi et peut avoir des répercussions durables sur l'estime personnelle.
Retrouver un rapport sain à son corps
Il est urgent de rappeler que sentir ne signifie pas être sale. Avoir une odeur corporelle, c'est simplement une façon d'être vivant, d'avoir un corps qui fonctionne normalement. Évidemment, une bonne hygiène reste importante : se laver régulièrement, porter des vêtements propres, utiliser un déodorant adapté aux zones qui en ont réellement besoin.
Mais il existe une différence fondamentale entre prendre soin de son hygiène et chercher à effacer toute trace de son humanité. La première démarche est saine et nécessaire, la seconde relève d'une pression sociale malsaine qu'il faut questionner.
Cette tendance "clean girl" illustre parfaitement les dérives d'une société obsédée par le contrôle et l'apparence. Elle montre comment l'industrie cosmétique sait créer des besoins artificiels en jouant sur nos insécurités. Elle révèle aussi notre difficulté collective à accepter le corps tel qu'il est, avec ses imperfections et ses particularités.
Peut-être est-il temps de se rappeler que la perfection n'existe pas, et que c'est précisément ce qui rend chaque personne unique et intéressante. Plutôt que de chercher à ressembler à une image lisse et désincarnée, acceptons que nos corps aient le droit d'exister avec leurs caractéristiques propres. Y compris leur odeur naturelle.
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