Le point F : quand nos envies alimentaires ont un interrupteur secret
Par Thomas Sanchez
Publié le
Avez‑vous déjà remarqué que certains aliments semblaient vous “prendre” complètement ? Que ce n’était plus une simple envie, mais une envahissement de vos pensées jusqu’à ce que vous cédiez, encore et encore ? Ce phénomène a un nom : le « point F », pour « félicité » ou « fat‑flavour‑feel good », selon les versions. Ce n’est pas une glande, un point magique du corps ni une formule chimique bien définie. Mais plutôt un concept issu des neurosciences alimentaires et du marketing, qui permet de comprendre pourquoi certains aliments fabriqués industriellement déclenchent des envies beaucoup plus fortes que d’autres.
Qu’est‑ce que le point F ?
Le “point F” est défini comme cet équilibre précis entre gras, sucre et sel (et texture) dans un aliment, qui déclenche chez nous un maximum de plaisir sensoriel. Imaginez‑vous savourer une bouchée parfaite : pas trop salée, pas trop sucrée, pas trop grasse, mais “juste assez”. Ce “juste assez” est souvent calibré pour atteindre le pic de plaisir avant que l’envie de s’arrêter se pose… ou au contraire que le surplus fasse basculer dans le “je veux juste encore une bouchée” ou “je ne peux pas m’arrêter”.
Le psychophysicien et marketing researcher américain Howard Moskowitz a popularisé la notion de “bliss point”, un terme équivalent en anglais. Il démontre que pour chaque profil de consommateur, il existe un point optimal de sucre, de gras, de texture qui maximise le plaisir… et de fait la consommation.
En clair : le point F, c’est ce qui transforme un aliment en “ne me laisse pas” plutôt qu’un simple en‑cas.
Pourquoi le point F a‑t‑il autant de pouvoir ?
Plusieurs mécanismes se combinent pour lui donner son influence :
1. Le système de récompense du cerveau
Quand nous consommons un aliment délicieux, une partie du cerveau active la dopamine, un neurotransmetteur lié au plaisir et à la motivation. Cet effet survient particulièrement lorsqu’un aliment déclenche le “juste parfait” de plaisir sensoriel.
Le point F est calibré pour stimuler ce système de récompense au maximum.
2. Le plaisir gustatif + la texture + l’émotion
Ce n’est pas seulement “gras + sucre + sel”. Le goût, l’odeur, la texture fondante ou croustillante, la mémoire gustative : tout compte. Le point F joue sur ces signaux combinés pour créer une envie récurrente. Quand la première bouchée est si bonne que l’on veut retrouver cette sensation, cela crée une boucle.
3. Le déséquilibre nutritionnel
Les aliments qui “chutent” dans le point F ont souvent une mauvaise densité nutritive : beaucoup d’énergie, peu de fibres, peu de satiété. Résultat, on a tendance à manger davantage avant d’être rassasié.
Cela explique en partie pourquoi on “ne peut plus s’arrêter” quand on commence à manger certains snacks ou plats préparés.
4. Le conditionnement industriel
Les industriels de l’alimentation utilisent comme objectif de concevoir des aliments qui atteignent le point F. Choix du sucre, du gras, de la texture, des arômes… pour que leur produit soit non seulement consommé mais re‑consommable.
En résumé : ce n’est pas seulement vous et vos envies : vos goûteurs intérieurs sont stimulés par une formule conçue pour ça.
Comment le point F influence nos envies alimentaires au quotidien ?
Voici des manifestations concrètes que vous avez peut‑être vécues :
Vous croquez un seul cookie… et deux heures plus tard vous en cherchez d’autres alors que vous n’aviez pas faim.
Vous achetez “quelques chips pour l’apéro” et vous vous retrouvez à finir le sachet.
Vous sentez “je vais m’arrêter” mais votre main revient à la même plaque de biscuits.
Vous culpabilisez après avoir mangé “trop vite” ou “sans penser”, tout en vous promettant “la prochaine fois je ferai mieux”.
Ces situations sont souvent liées au point F : un aliment calibré pour déclencher l’envie, sans pour autant fournir la sensation complète de satiété ou de satisfaction durable.
Pourquoi ça pose problème pour notre santé ?
Quand cette mécanique fonctionne fréquemment, elle peut contribuer à plusieurs risques :
Un apport excessif en calories cachées, en gras saturés, en sucres rapides.
Une prise de poids progressive car la satiété n’est pas atteinte alors on continue de manger.
Une illusion de contrôle : on croit “gérer” mais le produit a déjà activé le système de récompense.
Une dépendance possible à certains aliments : ce n’est pas une addiction au sens strict fait de drogues, mais une “réponse renforcée” du cerveau aux stimulus alimentaires ultra‑palatables.
Le point F n’est pas une fatalité : comment reprendre la main ?
Oui, vous pouvez agir. Voici 6 stratégies concrètes pour réduire l’impact du point F dans vos choix alimentaires.
1. Manger en pleine conscience
Avant de céder à une envie, prenez un instant : respiration profonde, regardez l’aliment, sentez‑le, goûtez une bouchée en conscience. Demandez‑vous : “Est‑ce que je prends ceci par faim ou par envie ?” Cela aide à repérer le pic du plaisir, à l’anticiper, et à décider de s’arrêter.
2. Favoriser les aliments “vrai”
Choisissez des aliments peu ou pas transformés : légumes, fruits, légumineuses, grains entiers, protéines maigres. Ces aliments ont moins de chances d’avoir été calibrés pour un point F puissant, et procurent une satiété plus durable.
3. Contrôler la fréquence et l’environnement
Ne pas éliminer totalement “les aliments point F” mais en limiter la fréquence. Ne pas les avoir systématiquement chez soi, parce que l’environnement compte. Le simple fait de les voir, sentir ou habituer son cerveau les ramène à l’envie.
4. Manger avant d’être affamé·e
L’appétit très fort met le cerveau en état de vulnérabilité : tout aliment “fort” deviendra plus tentant. Mangez à des horaires réguliers, avec un minimum de protéines ou de fibres pour retarder l’envie excessive.
5. Développer d’autres formes de plaisir
Le système de récompense n’est pas réservé à la nourriture. Activités physiques, loisirs, partage, créativité… offrent d’autres “pic de plaisir”. Chaque fois que vous faites autre chose que manger pour ressentir “bien”, vous diluez l’impact du point F.
6. Comprendre les ingrédients “boosts”
Prenez le temps de lire les étiquettes : sucre, gras, sel, arômes, texture fondante, croustillante… Ces indices signalent souvent un produit conçu pour atteindre le point F. Un choix éclairé = pouvoir différent.
Ce que retenir, en résumé
Le point F : ce n’est pas un muscle ni un organe, mais un concept qui combine alimentation, cerveau, plaisir et envie.
Il explique pourquoi certains aliments sont plus difficiles à “arrêter” que d’autres.
Il est lié à des circuits cérébraux bien réels : plaisir, récompense, envie.
Il peut contribuer à des comportements alimentaires excessifs… mais ce n’est pas une fatalité.
Agir consiste à choisir consciemment, voir, ressentir, intégrer d’autres formes de satisfaction, et rééquilibrer son environnement alimentaire.
Vous n’êtes pas “faible” parce que vous cédez à une envie. Vous êtes exposé·e à un mécanisme puissant : le point F. La bonne nouvelle : vous pouvez l’apprivoiser plutôt que le subir. En cultivant votre conscience, en adaptant vos choix, en variant vos plaisirs, vous reprenez votre liberté alimentaire.
Alors la prochaine fois que vous sentirez l’envie monter… rappelez‑vous : vous avez déjà une longueur d’avance. Vous savez ce qui se passe, et vous pouvez choisir différemment. Profiter oui… mais avec pleine conscience.
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